Pour Gilles Kepel spécialiste de l’Islam , Roubaix un des axes de pénétration du salafisme
Comment de jeunes Roubaisiens (et parmi eux deux fils de familles catholiques) ont pu tomber dans le jihadisme au début des années quatre-vingt-dix
« Roubaix a été l’un des axes de pénétration du salafisme en France. Le salafisme est évidemment en relation avec l’Algérie et Roubaix est l’une des villes à la plus forte implantation algérienne. Il ne faut pas oublier que la marche des Beurs’ de 1983 est montée jusque Roubaix, ou qu’il s’y est tenu l’un des principaux meetings de soutien au FIS, après 1989.
Ainsi, les imams saoudiens vont très tôt investir Roubaix après l’invasion du Koweït par Saddam Hussein, profitant des mouvements qui naissent alors en France. Il se développe là une politique de promotion du salafisme, à Roubaix comme dans la région lyonnaise.
De plus, Roubaix est proche du centre islamique de Bruxelles, où règne également une ambiance salafiste très forte. Les liens sont rapidement devenus étroits, sur fond de soutien au FIS. Or, le FIS, fortement salafiste, basculera dans le jihadisme à travers le GIA. »
Vous avez également évoqué, dans vos livres, des événements plus anciens’
« Oui ! Plus avant, Roubaix a été le théâtre d’événements fondateurs, au moment de la guerre d’Algérie, avec les affrontements entre le Mouvement national algérien et le FLN. Les hommes s’y sont battus à mort, sur fond de prélèvement de l’impôt révolutionnaire que tous les ouvriers étaient tenus de payer à cette époque de plein emploi, sous peine d’être exécutés. On estime généralement le nombre de morts à près de trois cents en moins de huit ans.
Par ailleurs, les harkis étaient fortement implantés, à Roubaix. C’était l’une des rares villes, avec Dreux, en Normandie. Ils étaient implantés là parce qu’il leur était possible de travailler dans l’industrie ; ils n’étaient pas laissés au chômage, comme dans le sud de la France. Or, les jeunes du FLN traitaient les fils de harkis de traîtres, à l’époque. Ce qui s’est retourné contre eux ensuite. Ce sont les autres qui leur ont reproché d’avoir abandonné l’islam, avec les généraux, et leur disaient Nous sommes plus musulmans que vous’… »
Que reste-t-il de tout cela, aujourd’hui, à Roubaix
« Je pense qu’il reste un petit milieu, à travers certains personnages qui entretiennent un discours, une emprise, sur une petite partie de la population roubaisienne. Entre la Bosnie des années 90 et la Syrie d’aujourd’hui, il y a une congruence. D’ailleurs, on dit aujourd’hui qu’une demi-douzaine de jeunes roubaisiens sont morts en Syrie. »
Pour comprendre ou aller plus loin :
‘ Terreur dans l’Hexagone, Genèse du djihad français, Gilles Kepel, Gallimard.
‘ Passion française, Gilles Kepel, Gallimard.
‘ Takfir sentinelle, Lakhdar Belaïd, Gallimard.