Le jour où… les Clash ont changé la vie de Jef Aérosol

Le jour où... les Clash ont changé la vie de Jef Aérosol

C’était il y a presque trente-cinq ans mais il peut en décrire chaque détail. Si l’artiste fait aujourd’hui figure d’« ancien », sa mémoire n’a pas pris une ride. «
On est dans ce théâtre à l’ancienne du Mogador. The Clash doit se produire pendant une semaine. C’est inhabituel. Mais le groupe vient de sortir Sandinista !, un triple album rock entrecoupé de rap, funk et reggae. Une réelle rupture avec ses brûlots punk !
»

Le jeune Jean-François Perroy n’a alors que 24 ans et se trouve à la croisée des chemins. Le bac en poche, il s’est envolé pour douze mois en Irlande, deux ans avant cette soirée de septembre 1981. «
J’étais parti en baba cool. J’ai rencontré en Irlande des gens plus ouverts musicalement. Ça pouvait jouer du rock, du punk’ et de la cornemuse. Les chapelles, ça n’existait pas. Ça m’a fait accepter d’écouter à la fois Brassens, Barbara et The Clash
», se remémore-t-il.

En parallèle à sa maîtrise d’anglais, Jef Aérosol, qui signe encore de son vrai nom, travaille son art : du copy-art, des collages, «
très inspirés du collectif Bazooka et des graphzines
». Le pochoir n’est encore, vu de Nantes, qu’une forme d’art obscure. «
J’avais vu des pochoirs industriels, des lettrages do it yourself, c’était chaotique.
»

Futura 2000 apparaît

Sur la scène du Mogador, les Clash viennent d’apparaître. «
Une sirène de police résonne, la lumière d’un stroboscope illumine la fosse. On est dans le Bronx’
» Derrière le groupe, apparaît un «
grand escogriffe
». Bonnet, lunettes noires, l’individu bombe une vaste toile en direct. Jef Aérosol ne connaît pas encore celui qui deviendra un ami, Futura 2000. Ce qu’il comprend, c’est qu’il assiste aux fondations d’un art qui bruisse dans les quartiers new-yorkais. «
On sait que ça existe, mais la peinture à la bombe est exotique. Sur les murs français, si tu bombes, c’est politique. Et sinon, c’est que tu peins ta mob !
» Au début des années 80, l’Hexagone balbutie son art urbain. Des artistes s’y sont essayés, bien sûr, comme Gérard Zlotykamien ou Ernest Pignon-Ernest, mais ces maîtres sont «
d’un autre monde
» pour le jeune Jef.

Tandis que Futura 2000 se joint au groupe pour un rap intitulé The Escapades, Jef Aérosol sait-il que cette nuit va changer sa vie «
À cet instant, je suis à la confluence de mouvements : ce voyage de 500 km pour assister au concert ressemble à une initiation. À compter de ce jour, je me suis gorgé de musique. J’allais à cinq concerts par semaine. Depuis Lille, je me rendais à Londres ou Paris. C’était mon monde, comme un refus de l’autre, celui que je n’avais pas vraiment choisi. Mon seul moyen d’assumer d’être prof et adulte responsable.
»

Et il y a la bombe aérosol, «
cet outil formidable
», dont un individu use pour faire de l’art, ce soir-là, derrière son groupe préféré. «
Pour moi, j’atteignais le Graal. J’avais envie que cette nuit dure toute la vie.
» Quelques mois plus tard, Jef Aérosol se rend à Tours pour un stage. Seul, indépendant financièrement, l’artiste sent son existence basculer. «
Le souvenir de ce concert me hantait. Alors j’ai agrandi une photo de moi, un cri saisi au Photomaton. J’ai découpé le pochoir sur le fond d’une boîte à chaussures avec un cutter à moquette.
» Deux bombes en poche, il parcourt les rues plongées dans le noir. Son dessin épouse les murs tourangeaux. Nous sommes fin 1982. D’autres nuits suivront.

Bio

15 janvier 1957. Naissance à Nantes.

1981. Première uvre : l’affiche du groupe nantais Private Jokes.

1984. Deux ans après l’obtention de son CAPES d’anglais, débarque à Lille.

1986. Premier ouvrage, Vite fait bien fait (éd. Alternatives). Première vente chez Drouot.

2004. Peint son premier Sitting Kid, avenue Zola à Lille.

2009. Démissionne de l’Éducation nationale.

2011. Signe Chuuuttt, pochoir monumental de 22 m par 14, à Paris, près de Beaubourg.

Février 2016. Signe la pochette de l’album Anomalie de Louise Attaque.

Septembre 2016. Exposition prévue à la galerie Laurent Strouk à Paris.

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