Les Etats-Unis tentent d’obtenir une trêve pour sauver Alep

Les Etats-Unis tentent d'obtenir une trêve pour sauver Alep

Le Monde
| 02.05.2016 à 11h33
Mis à jour le
02.05.2016 à 20h57
|

Par Marc Semo et
Gilles Paris (Washington, correspondant)

Avant même d’arriver dimanche soir en urgence à Genève à l’appel du médiateur de l’ONU, Staffan de Mistura, pour tenter de sauver le cessez-le-feu, le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, a rappelé haut et fort que « la fin des violences à Alep et le retour à une cessation durable des hostilités étaient la première des priorités », et il a demandé à la Russie « de prendre des mesures pour arrêter les attaques aveugles du régime » sur la ville.

La poursuite des intenses bombardements de l’aviation de Damas sur les quelque 200 000 habitants vivant dans la partie de la ville contrôlée depuis juillet 2012 par la rébellion, et, a fortiori, sa chute, seraient une défaite majeure pour l’opposition comme pour les Occidentaux. Elle signifierait un nouvel exode de réfugiés vers la Turquie et la fin du processus de paix de Genève déjà à bout de souffle.

La crédibilité américaine est donc une fois de plus mise en jeu dans le dossier syrien. Alors que le président Barack Obama ne cesse de défendre sa décision de non-intervention constante depuis août 2013, c’est donc le secrétaire d’Etat qui est en première ligne.

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Politique des faits accomplis

Après avoir semblé donner son aval, vendredi, à un cessez-le-feu excluant la ville d’Alep, au grand dam de l’opposition syrienne, Washington a commencé à durcir le ton. Le porte-parole de la Maison Blanche, Josh Earnest, avait déjà réagi, vendredi 29 avril, au bombardement meurtrier d’un hôpital, estimant qu’il s’agissait de « la dernière atrocité commise apparemment par le régime », et soulignant que ces actions confortent l’analyse américaine selon laquelle le président Bachar Al-Assad a perdu toute légitimité pour rester au pouvoir.

Dès dimanche, le général Sergueï Kouralenko, chef du centre russe pour la réconciliation des parties belligérantes en Syrie, affirmait que « des négociations actives étaient en cours pour établir un régime de silence à Alep », c’est-à-dire un arrêt des combats semblable à celui négocié vendredi par Moscou et Washington pour la zone de la Ghouta, près de Damas, et au nord de Lattaquié. Samedi encore, pourtant, le vice-ministre des affaires étrangères, Guennadi Gatilov, refusait de l’étendre à la grande ville du nord, affirmant que s’y déroulait « une opération antiterroriste ».

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Même s’il se concrétise ces prochains jours, l’arrêt des attaques du régime risque pourtant de n’être qu’une pause. La trêve du 27 février que Washington, comme les capitales occidentales et l’ONU appellent à rétablir, avait déjà été négociée après une vaste offensive lancée début février alors que devaient commencer les négociations à Genève. Appuyées par l’aviation russe, les forces du régime avaient alors quasiment réussi à encercler la partie de la cité aux mains de l’opposition, qui n’est plus désormais reliée à l’extérieur que par une route, dite du Castello. Face à cette politique des faits accomplis, menée par Damas et Moscou, la stratégie de l’administration Obama semble pour le moins erratique.

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Contradiction américaine

« Les Russes ont très bien joué et ils ont mené, avec le régime, la stratégie que les Américains et nous aurions dû avoir aux côtés de l’opposition : changer la situation sur le terrain et donc la donne politique, tout en continuant ensuite à maintenir une pression militaire », reconnaît-on à Paris. Un constat que partagent désormais nombre de commentateurs outre-Atlantique, toujours plus critiques sur l’attitude de M. Obama et surtout celle de son secrétaire d’Etat. Ainsi, dans son éditorial du 1er mai, le Washington Post attire l’attention sur la contradiction qui fragilise la position américaine : en laissant le régime Assad renforcer son emprise sur le terrain militaire, Washington rend illusoire la transition politique, qui constitue pourtant son objectif principal.

Au grand dam des Occidentaux, Moscou a réussi à imposer la nouvelle réalité des rapports de force à la table des négociations.

Au grand dam des Occidentaux, Moscou a réussi à imposer la nouvelle réalité des rapports de force à la table des négociations, tentant de diviser l’opposition du Haut Comité des négociations (HCN) et surtout de la pousser à la faute en lui faisant porter la responsabilité de l’échec des discussions. Ses principales figures avaient ainsi quitté le troisième round de ces pourparlers indirects le 21 avril pour protester contre les bombardements et les blocages des aides humanitaires.

Seuls les Etats-Unis ont réellement les moyens de faire pression sur Moscou. Pris de court par le début de l’intervention russe aux côtés du régime syrien, en octobre 2015, ils n’ont pas renoncé à tout rôle sur le terrain, comme l’a montré la décision annoncée le 25 avril d’envoyer 250 forces spéciales pour lutter contre les bastions syriens de l’organisation Etat islamique. Mardi, le porte-parole de la Maison Blanche a d’ailleurs ajouté que Washington était prêt à aller au-delà si le Pentagone le recommandait.

Renforcer l’aide aux rebelles

A la veille du premier cessez-le-feu, en février, l’administration américaine avait évoqué un « plan B », qui consisterait à renforcer militairement les rebelles syriens, notamment à l’aide de missiles sol-air. Mais le soutien aux rebelles reste compliqué par la présence, parmi eux, de groupes liés à Al-Qaida, comme le Front Al-Nosra.

En milieu de semaine devrait se tenir à Berlin une nouvelle réunion du groupe international de soutien à la Syrie regroupant 17 pays sous le parrainage de Moscou et Washington afin de tenter de relancer la trêve et le processus de négociation. Pour des raisons différentes et avec chacun son propre agenda, tous veulent, au moins formellement, maintenir les négociations sur pied, d’autant qu’il n’y a pas d’alternative, sinon une reprise générale des combats.

A Paris, on espère que les capitales les plus engagées dans le soutien à l’opposition et favorables à une véritable transition menant à terme au départ de Bachar Al-Assad feront bloc face à Moscou. Comme le souligne un haut diplomate français, « il est délicat pour le Kremlin, y compris vis-à-vis de son opinion publique, de se réengager à fond sur le terrain syrien après avoir annoncé un retrait ».

Kerry et Lavrov appellent à l’arrêt des combats

Sergueï Lavrov, ministre des affaires étrangères de la Russie, a eu lundi 2 mai une conversation téléphonique avec John Kerry, son homologue des Etats-Unis, à l’issue de laquelle ils ont appelé les deux parties au conflit syrien à observer un arrêt des combats, a annoncé le premier.

L’appel téléphonique a eu lieu à l’initiative des Etats-Unis, précise le communiqué du ministère russe. Les deux chefs de la diplomatie se sont également mis d’accord sur les mesures à prendre par leurs deux pays en tant que membre du groupe de soutien à la Syrie.

Dans un communiqué, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a pour sa part souhaité lundi que le cessez-le-feu instauré en Syrie autour de Lattaquié et de Damas soit étendu d’urgence à Alep.

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