Les quotas de carbone un  casse  facile mais dangereux

Les quotas de carbone un  casse  facile mais dangereux

Le Monde
| 30.04.2016 à 09h54
Mis à jour le
02.05.2016 à 07h27
|

Par Simon Piel

Leur bilan carbone se chiffre en millions d’euros. Douze personnes sont jugées à partir de lundi 2 et jusqu’au 30 mai par le tribunal correctionnel de Paris, dans l’un des principaux volets de l’escroquerie au marché du carbone la plus importante jamais montée en France , qui aura coûté à l’Etat près d’1,6 milliard d’euros entre 2008 et 2009. Dans ce seul volet de l’affaire, le préjudice de ce dernier, qui s’est constitué partie civile, s’élèverait à 283 millions d’euros, selon les estimations des magistrats.

Pour atteindre ce montant astronomique, les fraudeurs créaient des sociétés dirigées par des hommes de paille pour acheter hors taxes, à l’étranger, des quotas de CO2 vendus par des industriels et les revendaient en France toutes taxes comprises sur le marché du carbone, sans reverser la TVA de 19,6 % à l’administration fiscale. Puis ils réinvestissaient le produit de la vente dans une nouvelle opération, et ainsi de suite, le caractère immatériel du CO2 et l’immédiateté des échanges leur permettant de multiplier les transactions avant de disparaître.

Les régulateurs français du marché la Bourse Bluenext et la Caisse des dépôts commencent à soupçonner l’existence d’une fraude de grande ampleur dès l’automne 2008, quelques mois après l’entrée du marché dans sa phase opérationnelle, le 1er janvier. Mais il n’y sera mis fin que le 11 juin 2009, lorsque les transferts de quotas d’émission de CO2 sont finalement exonérés de TVA.

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Mercedes et montres de luxe

Entre-temps, les intéressés, gravitant pour l’essentiel au sein de la voyoucratie franco-israélienne, accumulent une « montagne » d’argent, selon les termes de l’un des mis en cause devant les enquêteurs. Mais les sommes en jeu ont fait voler en éclats les associations d’hier et suscité l’intérêt du banditisme traditionnel qui, comme à son habitude, s’est d’abord présenté comme protecteur avant de se révéler racketteur, voire assassin.

Samy Souied, considéré comme l’un des organisateurs de la fraude, ne comparaîtra pas lundi. Il a été tué en septembre 2010 porte Maillot, à Paris, par deux hommes à scooter munis d’une arme de poing. Six ans après, l’enquête de la brigade criminelle piétine, mais il fait peu de doute qu’il s’agit d’un règlement de comptes lié au magot de la « Tève » la TVA.

Quatre assassinats commis en Ile-de-France seraient directement liés aux convoitises autour du butin

Depuis que l’argent du carbone a rempli les poches des uns et des autres, quatre assassinats commis en Ile-de-France seraient directement liés aux convoitises autour du butin. Les enquêtes n’avancent pas. « Certains services de police ont tardé à s’y intéresser, considérant que ces meurtres relevaient d’une autorégulation du milieu’ », déplore un magistrat.

Arnaud Mimran en sait quelque chose. Agé aujourd’hui de 45 ans, il est considéré par les juges d’instruction comme l’un des autres organisateurs de l’escroquerie pour avoir investi dans la fraude entre 8 millions et 9 millions d’euros pour un rendement plutôt profitable de 477 %. Il a pour sa part indiqué au cours de l’enquête qu’il n’avait pas conscience de l’infraction.

Mondain, joueur de poker habitué de l’Aviation club de France, Arnaud Mimran a en tout cas mené grand train grâce aux bénéfices de ces opérations tout en s’adjoignant, comme ses comparses, les services de quelques « gros bras » pour protéger ses intérêts. Lors des saisies, les magistrats ont gelé un compte crédité de plus de 7 millions d’euros, un appartement dans le XVIe arrondissement à Paris d’une valeur de 5,5 millions d’euros, une Mercedes McLaren SLR et une petite dizaine de montres de grands horlogers.

« Il te fait flipper »

L’enquête judiciaire a aussi permis de mettre au jour les fortes tensions qui ont émaillé ses relations avec feu Samy Souied. « Cela éclaire d’une manière intéressante l’enquête sur le meurtre de [ce dernier] », notent ainsi les magistrats financiers dans leur ordonnance. Entendu dans ce volet criminel, Arnaud Mimran a nié toute implication et n’a jusqu’ici jamais été mis en cause judiciairement.

En quelques années, il s’est en tout cas taillé une réputation au sein même du milieu des escrocs de la taxe carbone. Dans le volet marseillais de l’affaire, deux d’entre eux s’alarmaient de sa dangerosité en janvier, sur des lignes écoutées par les douanes judiciaires : « Il fait flipper, lui. Il te donne un rendez-vous, il t’en donne pas deux. (‘) Il n’y a même pas la chance au grattage. Il est dangereux. »

En juin 2015, il a été mis en examen dans une procédure criminelle pour avoir organisé l’enlèvement d’un trader afin de l’obliger à virer de l’argent sur le compte de sociétés dont il était l’ayant droit dissimulé. C’est donc lesté de plusieurs poursuites et d’une lourde réputation qu’il fera son entrée au tribunal.

Impliqué également selon les juges dans le « casse », tout aussi flambeur que les autres, Marco Mouly, 50 ans, est une figure haute en couleur. On dit de lui qu’il ne sait ni lire ni écrire, mais qu’il sait compter. Originaire de Belleville comme Samy Souied, il a parlé aux juges « en grand connaisseur de la fraude à la TVA ». Il faut dire qu’il a été condamné dans plusieurs affaires qui ont agité le « milieu » juif depuis le début des années 1990, des faux encarts publicitaires vendus à des annonceurs aux premières escroqueries à la TVA.

Réfugiés en Israël

Sur l’affaire qui le voit comparaître aujourd’hui devant le tribunal, cet « as de la déballe » a varié dans ses déclarations. « Il ment parfois », notent pudiquement les juges. L’enquête a toutefois permis de démontrer son implication et « un train de vie sans rapport avec ses ressources déclarées ». En 2011, il a fait l’acquisition d’un appartement dans le XVIIe arrondissement de Paris pour 4 millions d’euros avant, l’année d’après, de prêter 4 millions à feu Thierry Leyne, ancien associé de Dominique Strauss-Kahn dans la société LSK. Lors de la perquisition à son domicile, les policiers ont saisi 47 sacs de grands couturiers, 17 manteaux de fourrure ainsi que de nombreuses montres de luxe.

Ces organisateurs présumés de la fraude partageront le banc des prévenus avec les prestataires et autres gérants de paille sans qui les affaires ne se seraient pas faites. Au moins pour ceux qui consentiront à se présenter. L’un d’eux, Jérémy Grinholz, faisait figure de repenti. Il a ainsi reconnu être le « trader de l’équipe » qui passait les ordres d’achat et de ventes mais il a jugé plus prudent ensuite de ne pas se présenter devant les juges et est aujourd’hui visé par un mandat d’arrêt. D’autres ont aussi préféré se réfugier en Israël et ne devraient pas comparaître. Deux sociétés enfin, dont Consus, principal courtier sur le marché du carbone, sont mises en cause.

Quelque temps après l’assassinat de Samy Souied, plusieurs de ses proches avaient convié certains des acteurs de l’escroquerie à se rendre en Israël pour passer au détecteur de mensonges, afin de dissiper les doutes sur leur éventuelle responsabilité dans sa mort. « Soyez heureux, avant, on faisait parler les gens en leur perçant les genoux », avait commenté l’un d’eux. La 32e chambre du tribunal correctionnel, uniquement saisie des infractions financières, saura-t-elle se montrer aussi convaincante ‘

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