Irak , des centaines de manifestants prennent d’assaut le Parlement

Irak , des centaines de manifestants prennent d'assaut le Parlement

Le Monde
| 30.04.2016 à 14h50
Mis à jour le
30.04.2016 à 17h09
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Par Hélène Sallon

Des milliers de partisans du chef politique chiite Moqtada Al-Sadr ont envahi, samedi 30 avril, la « zone verte » de Bagdad, le quartier fortifié abritant les principaux lieux de pouvoir et les ambassades étrangères, et plusieurs d’entre eux ont pénétré dans le Parlement pour protester contre l’absence de vote sur un nouveau gouvernement en Irak. La manifestation qui se déroulait de façon pacifique depuis la matinée à l’extérieur de la zone verte a dégénéré après un nouvel échec des parlementaires à approuver le gouvernement de technocrates proposé par le premier ministre Haïder Al-Abadi. Le commandement des opérations de Bagdad a déclaré l’état d’urgence maximal et fermé toutes les entrées de la capitale irakienne.

L’Irak traverse une grave crise politique depuis l’annonce, le 9 février, par le premier ministre Abadi de sa volonté de remplacer les ministres affiliés aux partis par des technocrates plus à mêmes, selon lui, de mettre en uvre les réformes anticorruption adoptées en 2015 dans la foulée de grandes manifestations populaires contre l’incurie et le clientélisme de la classe politique. Mais le chef du gouvernement est confronté à des résistances au sein de la classe politique, jusque dans son camp chiite, contre la fin des quotas politiques la répartition sur une base ethnique et confessionnelle des principaux postes-clés du gouvernement , dont elle tire influence et avantages.

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Très populaire dans les quartiers défavorisés de la capitale et les villes du sud chiite, l’imam chiite Moqtada Al-Sadr a pris la tête du mouvement pro-réformes. Lui et les animateurs du mouvement civil né à l’été 2015 se sont retrouvés dans un même attachement au nationalisme irakien et dans un rejet de l’ingérence iranienne. Ils sont surtout liés contre un même ennemi : l’ancien premier ministre (2008-2014) et actuel chef du parti Dawa (Etat de droit), Nouri Al-Maliki. Pour les militants civils, M. Maliki incarne la dérive dictatoriale du pouvoir et la corruption. Pour Moqtada Al-Sadr, M. Maliki est un rival de longue date, qu’il espère enfin écarter du pouvoir. Ce dernier est accusé de man’uvrer en coulisses pour tenter de saper l’autorité du premier ministre Abadi, pourtant issu du même parti, et revenir à la tête de l’Etat.

Le 18 mars, Moqtada Al-Sadr avait appelé ses partisans à un sit-in illimité devant la zone verte pour faire pression sur M. Abadi et la classe politique en faveur du remaniement ministériel. Le sit-in a été levé le 31 mars après la présentation par le premier ministre irakien d’une liste de 14 candidats pour un nouveau gouvernement de technocrates. Le Parlement a depuis été dans l’incapacité de procéder au vote requis pour investir les candidats aux différents portefeuilles ministériels, faute de réunir le quorum. Après avoir voté mi-avril la destitution du président du Parlement, Salim Al-Joubouri, lors d’un scrutin jugé « inconstitutionnel », plus d’une centaine de députés ont entamé un sit-in au sein du Parlement pour obtenir la destitution des trois présidences : le chef du gouvernement, le chef du Parlement et le président, Fouad Massoum.

Moqtada Al-Sadr a appelé, le 20 avril, les 34 députés de son parti Al-Ahrar à se retirer de ce sit-in de crainte que le mouvement profite à son rival, Nouri Al-Maliki. Il a toutefois appelé ses partisans à poursuivre leurs manifestations. Il dénonce le recul du premier ministre Abadi, qui a proposé une liste de compromis mélangeant technocrates et politiques dans l’espoir de dépasser le blocage au Parlement. Le 26 avril, lors d’une nouvelle session chaotique, ce dernier a approuvé une partie des candidats présentés par M. Abadi, notamment aux postes de ministres de l’électricité, de la santé, de l’éducation supérieure, du travail et des ressources hydrauliques. Ils ont rejeté les autres candidats sur la liste du premier ministre, qui devait présenter samedi d’autres candidats.

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Pas d’opposition des forces de sécurité

Samedi, le Parlement a une nouvelle fois été dans l’incapacité de procéder au vote, faute d’atteindre le quorum requis. Salim Al-Joubouri a annoncé dans la foulée la suspension de la session parlementaire jusqu’au 10 mai. S’adressant à ses partisans depuis la ville sainte chiite de Nadjaf, Moqtada Al-Sadr a condamné l’impasse politique et affirmé que ses partisans et lui-même ne participeraient à « aucun processus politique dans lequel il y a une quelconque sorte (‘) de quotas sur les partis », sans toutefois ordonner à ses partisans d’entrer dans la zone verte.

Quelques minutes après, les manifestants ont pourtant franchi un pont sur le Tigre aux cris de « Les lâches fuient », par allusion aux députés quittant le Parlement. Ils ont ensuite pénétré dans la zone fortifiée en agitant des drapeaux irakiens et en affirmant le caractère pacifique de leur mouvement. « C’est nous qui dirigeons ce pays à présent ! Le temps de la corruption est révolu », a lancé un manifestant, alors que la foule remplissait l’hémicycle. « Vous ne restez pas ici ! Ceci est votre dernier jour dans la zone verte », a crié un autre à des parlementaires. Les forces de sécurité étaient présentes mais n’ont pas tenté d’empêcher les protestataires de pénétrer dans le bâtiment.

Cette crise politique suscite l’inquiétude des Etats-Unis et des Nations unies, ainsi que des alliés du premier ministre Haider Al-Abadi. Chefs d’Etat, responsables politiques et militaires se pressent depuis début avril, au téléphone ou dans son bureau à Bagdad, pour témoigner leur soutien à celui qui s’est érigé en partenaire privilégié dans la lutte contre l’organisation Etat islamique (EI). Sa destitution pourrait créer une longue vacance au pouvoir et ralentir la lutte contre l’EI, qui contrôle des territoires à l’ouest et au nord de Bagdad. Les blocages politiques risquent d’aggraver la crise économique que traverse l’Irak depuis la chute des prix du brut en 2014.

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