A San Francisco le  Black and Brown social club  contre les violences policières

A San Francisco le  Black and Brown social club  contre les violences policières

Armando, 18 ans

 Scène de la vie ordinaire dans le San Francisco des petites gens. Devant le commissariat de police de Mission, le quartier où les restaurants branchés se mêlent aux taquerias latinos, cinq personnes font la grève de la faim pour protester contre les violences policières. Dont Ilych Sato, alias Equipto, rappeur local et co-fondateur du « Black and Brown social club ».

Leurs amis sont venus les soutenir comme tous les soirs depuis six jours. Apporter des bouteilles d’eau, des vitamines, du potassium. Le quartier les défend. Le magasin d’en face (Good vibrations), qui vend des sex toys, accueille les militants qui ont besoin de charger leur batterie de téléphone.

Ce mardi 26 avril, il y a même un peu plus de monde, devant le 630 Valencia Street: la police tient à 18h00 sa réunion mensuelle de « consultation avec la communauté ». Les militants ont l’intention de profiter de la tribune. Quelques caméras sont là, et la police est obligée de laisser entrer les représentants de la « communauté ». 42, pas un de plus.

Les policiers font profil bas. Ils n’ont pas essayé de dégager les tentes et ils autorisent les grévistes de la faim à utiliser les toilettes du commissariat. Certains prennent l’air le plus dégagé possible. A croire qu’ils ne sont pas membres du SFPD, le département qui fait l’objet depuis février d’une enquête de l’administration fédérale -comme les polices de Chicago et de Baltimore- pour usage excessif de la force et possible discrimination.

Policier tentant de rester zen

Le matin même, les media ont sorti une nouvelle affaire de textos racistes échangés par des agents du SFPD (San Francisco police department).Des messages -une centaine au total- qui s’en prennent aux homosexuels, aux Noirs, Latinos, aux Indiens, et aussi à Barack Obama. Messages jugés trop incendiaires pour être diffusés à la télévision, ont indiqué les chaînes (« mais vous pouvez les consulter sur notre site »..)

L’auteur des textos, un officier d’origine chinoise, Jason Lai, a été suspendu il y a un mois. C’est la deuxième série de messages racistes découverts par inadvertance, à l’occasion d’investigations portant sur d’autres faits. Le maire démocrate de San Francisco, Ed Lee, a mis en cause « quelques brebis galeuses » mais selon le public defender (médiateur de la ville) Jeff Adachi, les textos sont le signe d’une « culture qui tolère la discrimination ».

A la craie

Les manifestants réclament la démission du chef de la police de San Francisco Greg Suhr.  Sur le trottoir, ils ont inscrit à la craie le nom des victimes des dernières violences. Mario Woods, tué en décembre parce qu’il refusait de laisser tomber son couteau; Alex Nieto, abattu de 59 balles en 2014; Jose Luis Gongora, un sans-abri de 45 ans tué 16 secondes après être entré en contact avec les policiers le 7 avril… Avant l’arrivée de « Chief Suhr » à la tête du SFPD, en avril 2011, la police de San Francisco était la moins brutale des forces des 14 plus grandes villes du pays. Depuis qu’il est en fonctions, il y a plus d’un homicide par an en moyenne, accusent les activistes.

Les agents laissent entrer les protestataires au compte-goutte dans la salle de réunion. A 18 heures, le commissaire ouvre la session mais les protestataires ne sont pas d’humeur à discuter. A peine a-t-il ouvert la bouche que fusent les cris appelant au limogeage du chef de la police : « Fire Chief Suhr »!

Robert: « They are killing us »

Dans la foule, Robert, 50 ans, dont 23 en prison.- « Je suis sorti il y a 8 ans, explique-t-il. J’ai changé de vie. Pendant longtemps, j’ai fait comme si je ne voyais pas ce qui se passe. Mais je ne peux plus. Assez, c’est assez. Ils nous tuent. Si on ne réagit pas maintenant, on ne sera bientôt plus là ».

Le harcèlement policier s’ajoute aux expulsions dues à la gentrification dans la capitale de la Tech. Les minorités sont poussées hors de la ville. Les Latinos hors de Mission; les Noirs hors de Bayview.- « On n’est plus que 3 % de la population », souligne Robert.

Au premier rang des protestataires, se trouve Mesha Irizarry, 67 ans.- Je parle français, s’exclame-t-elle. Je suis Basque !Mesha est une encyclopédie de la diversité à elle-seule. Mi-basque, mi-américaine; très blanche, un peu Noire; lesbienne, et mère d’un grand fils qui s’appelait Idriss.

Mesha Irizarry

Idriss avait 23 ans quand il a été tué par la police le 12 juin 2001 dans un cinéma. Il était bipolaire, pense-t-elle maintenant, mais personne n’avait fait le diagnostic.A-t-il été victime d’une crise Il a appelé lui-même à l’aide. En récupérant son téléphone, Mesha s’est aperçue qu’il avait composé le 911 neuf minutes avant de mourir.Son corps a été criblé de 48 balles.

Les policiers n’ont pas été poursuivis pour la mort du jeune homme. Huit mois après le drame, Mesha a tenté de se suicider. Puis elle a créé la fondation Idriss Stelley pour aider les parents de victimes de bavures. Elle a reçu plus de 6000 demandes en 13 ans.

Idriss était son fils unique. Il avait étudié au lycée français.- J’ai reçu les condoléances de Chirac, dit-elle. Et d’Arlette Laguiller !Cela parait loin, mais pour Mesha Irizarry, ça ne le sera jamais.

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