Procès LuxLeaks, Ce ne sont pas Deltour et les autres qui devraient être sur le banc des accusés! tempête Eva Joly

Procès LuxLeaks, Ce ne sont pas Deltour et les autres qui devraient être sur le banc des accusés! tempête Eva Joly

Sortir un livre dénonçant le blanchiment d’argent et la corruption en Europe la semaine où s’ouvre le procès LuxLeaks, et juste après les révélations des Panama Papers, vous auriez voulu organiser une telle promo que vous ne vous y seriez pas mieux prise !

« Je ne peux pas vous dire le contraire (rires) ! Mais bon, ce n’est pas comme si c’était un sujet nouveau pour moi ! Ça fait vingt-deux ans que je combat ça, le blanchiment d’argent et la corruption, et que je m’efforce de sensibiliser l’opinion publique au problème de l’évasion fiscale. Depuis que j’ai découvert les plus sombres mécanismes du genre quand j’ai traité le dossier Elf. Je mène ce combat avec force et conviction car ces systèmes de malversations sont à la source et au c’ur de toutes les injustices dans la société, et que je n’avais jusqu’ici jamais compris pourquoi ceux qui nous dirigent laissaient faire. Maintenant, j’ai compris. Le blanchiment, c’est un business comme un autre ! C’est ce que je démontre et dénonce dans ce livre. »

Un business que les politiques laissent tranquillement et gentiment prospérer, selon vous, qui vous prenez directement à Jean-Claude Juncker, président de la commission européenne’

« Jean-Claude Juncker est le paravent derrière lequel se cachent les montages fiscaux du 3e exportateur d’armes au monde : la France. Juncker connaît tous les secrets de nos présidents et de leurs partis politiques’ Du coup, on imagine bien que si changement il y a, il ne viendra pas d’en-haut, pas de l’Europe, pas de l’État, des États, dont on a d’ailleurs mesuré le manque de volonté depuis plusieurs décennies et l’impuissance à faire en sorte que des scandales comme les Panama Papers ne soient un jour plus possibles ! Ce livre met sur la table ce qui se passe dans la réalité. Et je compte donc sur les citoyens qui le liront pour dire que ça suffit ! Qu’il est temps de mettre fin à cette complaisance avec les riches et les entreprises qui cachent une partie de leur fortune dans des paradis fiscaux, et d’inscrire les mécanismes dans la transparence ».

En attendant, ce sont des journalistes et des lanceurs d’alerte comme Antoine Deltour qui se retrouvent sur le banc des accusés. Qu’est-ce que cela vous inspire

« Je pense qu’ils n’oseront pas aller jusqu’à condamner Deltour et les autres. Ils sont les symboles purs de l’intérêt général primant sur les intérêts particuliers. Franchement, ce ne sont pas eux qui devraient être sur le banc des accusés, mais bien les multinationales comme Mac Do, Ikea ou les grands groupes pharmaceutiques, qui profitent d’un système creusant tous les jours un peu plus le fossé entre les riches et les pauvres. Ce sont ces 350 entreprises qui s’exonèrent de payer certaines taxes et impôts chez nous, mais qui en revanche profitent bien des aides publiques qui leurs sont allouées ! Pour Mac Do ou Ikéa, ça a été mesuré : c’est chacun un milliard d’euros évadés sur cinq ans ! »

Vous êtes donc évidemment partisane de l’interdiction du secret fiscal, ou pour encourager le « name shaming », qui consiste, comme dans l’affaire des Panama Papers, à nommer les banques et les personnes touchées par des affaires

« Oui, bien sûr. La culture du secret fiscal est antidémocratique. Il n’y a pas de droit au secret et la publicité des noms, c’est ce qu’il y a de mieux pour que les affaires ne soient pas enterrées ! Le fait que l’opinion ne puisse pas connaître les transactions que Bercy passe avec les multinationales pour que ces firmes paient moins d’impôts, c’est extrêmement choquant. On ne peut plus se satisfaire d’un système pourtant vieux comme le monde qui fait que les classes laborieuses paient toujours plus, tandis que les riches eux parviennent à s’y soustraire ! C’est indécent. Et à un moment, la pression sera trop forte et ça explosera (‘) Pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscales, il faut constituer de grandes équipes d’enquêteurs, faire un pôle de juges d’instruction. J’avais moi-même réclamé en 2012 la création d’un haut-commissariat européen qui serait chargé de lutter contre les paradis fiscaux : on m’avait ri au nez à l’époque, pour trouver ça naïf. Est-ce que mes détracteurs peuvent encore dire ça aujourd’hui »

Un mot sur la Présidentielle de 2017. Vous venez d’apporter votre soutien à Nicolas Hulot. Il est le mieux placé pour incarner l’écologie en 2017

« Oui, c’est maintenant lui qui représente l’espoir pour l’écologie. Le seul à pouvoir faire un résultat qui soit suffisamment marquant pour que l’écologie ne soit plus ignorée et malmenée, comme c’est aujourd’hui le cas. Certes il y a eu la COP 21. Mais pour le reste, on n’a pas bougé d’un iota, notamment sur le dossier de la transition énergétique, tant Hollande est restéinactif sur le sujet. »

« La corruption, la démocratie et l’Europe » sera le thème de la rencontre programmée dimanche 1er mai, à 14 heures, au Cinémovida d’Arras, avec Eva Joly.

* Le loup dans la bergerie. « Jean-Claude Juncker, l’homme des paradis fiscaux placé à la tête de l’Europe ». Eva Joly et Guillemette Faure, Editions Arènes, 150 pages, 15 .

Trois Français comparaissent depuis mardi devant le tribunal correctionnel de Luxembourg, pour avoir fait fuiter des milliers de documents éclairant sur les pratiques fiscales de multinationales établies dans le Grand Duché.

Il s’agit d’Antoine Deltour, lanceur d’alerte, inculpé de vol domestique, divulgation de secrets d’affaires et violation de secret professionnel. Avec Raphaël Halet, lui aussi inculpé, il a organisé cette vaste fuite d’infos alors qu’il travaillait pour le compte d’un cabinet d’audit, PwC (PricewaterhouseCoopers). Il a confié ces documents au journaliste de Cash Investigation, Édouard Perrin, qui a révélé le scandale en mai 2012 sur France 2.

Ce dernier est poursuivi pour complicité. Là où l’affaire des Panama Papers décrypte les complexes montages financiers servant à quelques personnalités et entreprises à dissimuler une partie de leurs avoirs, les LuxLeaks ont dévoilé les pratiques opaques d’optimisation fiscale de grandes firmes implantées en Europe, et plus particulièrement basées au Luxembourg, pour économiser des milliards d’euros d’impôts.

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