Vives tensions entre Berlin et Ankara autour de la campagne référendaire turque

Vives tensions entre Berlin et Ankara autour de la campagne référendaire turque

Réagissant à l’annulation de meetings en sa faveur, le président Erdogan a déclaré que « les pratiques allemandes ne différaient pas de celles des nazis ».

Le Monde
| 06.03.2017 à 06h43
Mis à jour le
06.03.2017 à 10h19
|

Par Thomas Wieder (Berlin, correspondant) et
Marie Jégo (Istanbul, correspondante)

Le président turc Recep Tayyip Erdogan ne décolère pas depuis que plusieurs villes allemandes ont annulé des meetings visant à défendre, auprès de la communauté turque établie outre-Rhin, le projet de réforme constitutionnelle qu’il a décidé de soumettre à référendum le 16 avril.

« Vos pratiques ne sont pas différentes de celles des nazis », a-t-il lâché, dimanche 5 mars, à Istanbul. « Je pensais que le nazisme était fini en Allemagne, malheureusement ça continue. (‘) Vous nous donnez des leçons de démocratie et vous empêchez nos ministres de s’exprimer là-bas », a tonné M. Erdogan dans un discours de campagne prononcé devant des milliers de partisans réunis dans une salle de spectacle, avant d’ajouter : « Pour ce qui est des libertés, notre pays est beaucoup plus avancé que les pays européens. »

« Si je veux venir en Allemagne, je le ferai, et si vous ne me laissez pas passer par vos portes, si vous ne me laissez pas parler, je ferai se dresser le monde », a-t-il également déclaré.

A quarante jours du référendum visant à renforcer ses pouvoirs, le président turc joue à fond la carte de la victimisation auprès d’un électorat séduit par ce genre de posture. Mais son allusion aux pratiques nazies risque de raviver les tensions entre Berlin et Ankara, vingt-quatre heures seulement après que la chancelière allemande, Angela Merkel, et le premier ministre turc, Binali Yildirim, se sont entretenus par téléphone conversation jugée « productive » côté turc, avant la rencontre prévue à Berlin, mercredi 8 mars, entre les ministres des affaires étrangères des deux pays.

Répression drastique

M. Erdogan n’a pas digéré l’annulation de meetings qu’avaient prévu de tenir en Allemagne ses ministres de l’économie, Nihat Zeybekçi, et de la justice, Bekir Bozdag. Ces réunions étaient destinées à mobiliser un électorat important 1,5 million de Turcs votent en Allemagne d’autant plus cajolé par les islamo-conservateurs du Parti de la justice et du développement (AKP) que M. Erdogan n’est pas du tout sûr de gagner son référendum. A un peu plus d’un mois du scrutin, les sondages donnent en effet le non légèrement en tête, d’où l’ardeur verbale du président turc et de ses ministres.

Chauffés à blanc en cette période de campagne électorale, ceux-ci perdent le sens commun. « La commune qui a annulé mon meeting est sous forte pression des terroristes », a ainsi assuré Bekir Bozdag, qui devait rencontrer la communauté turque de Gaggenau (Bade-Wurtemberg) le 3 mars. Par « terroristes », le ministre entendait les militants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ainsi que les éventuels sympathisants des putschistes du 15 juillet 2016. Selon le ministère allemand de l’intérieur, 136 ressortissants turcs, détenteurs de passeports diplomatiques, ont demandé l’asile politique en Allemagne dans les mois qui ont suivi.

Tendues depuis le coup d’Etat raté, les relations d’Ankara avec ses partenaires européens se sont envenimées au cours des derniers mois, alors qu’une répression drastique s’est abattue sur la Turquie, où plus de 40 000 personnes ont été emprisonnées, tandis que 125 000 salariés (enseignants, magistrats, policiers) ont été mis au ban de la société.

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« Dérapage scandaleux du despote du Bosphore »

Entre Berlin et Ankara, le ton était monté d’un cran le 27 février, après l’incarcération, à la prison de Silivri à Istanbul, de Deniz Yücel, le correspondant germano-turc du quotidien Die Welt en Turquie. Soupçonné de « propagande terroriste » par la justice turque, le journaliste a été accusé par M. Erdogan d’être à la fois « un représentant du PKK », la rébellion kurde armée contre laquelle la Turquie est en guerre, et un « agent allemand ».

Dimanche, plusieurs responsables politiques allemands ont vivement réagi aux propos du président turc comparant l’Allemagne d’aujourd’hui au IIIe Reich, qualifiés d’« insultants, anachroniques et arrogants » par Julia Klöckner, la vice-présidente de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), le parti de Mme Merkel. « Un dérapage scandaleux du despote du Bosphore », a estimé, quant à lui, Andreas Scheuer, le secrétaire général de la CSU, l’alliée de la CDU en Bavière.

La chancellerie, en revanche, a tardé à réagir. Les propos du président turc sont « absolument inacceptables », a déclaré lundi Peter Altmeier, le chef de la chancellerie fédérale allemande et proche d’Angela Merkel. « Nous allons, en tant que gouvernement fédéral, le faire savoir très clairement » à la Turquie, a-t-il dit à l’antenne de la chaîne publique allemande ARD.

Ce retard s’explique par le souci de Mme Merkel de ne pas rompre le dialogue avec la Turquie, près d’un an après l’accord noué avec Ankara pour réduire les flux migratoires vers l’Europe, mais aussi par sa volonté de ne pas provoquer la communauté turque vivant en Allemagne.

Reste que cette prudence fait l’objet d’un débat de plus en plus vif outre-Rhin. Ces derniers jours, plusieurs personnalités politiques, principalement à gauche et chez les écologistes, mais aussi des journaux comme la Süddeutsche Zeitung ou Der Spiegel, ont ainsi demandé à la chancelière de se montrer beaucoup plus ferme envers Ankara.

Cet avis est largement partagé au sein de la population. Selon un sondage de l’institut Emnid, publié dimanche par le quotidien Bild, 81 % des Allemands estiment que Berlin est trop complaisant à l’égard d’Ankara.

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