#CeuxQuiFont , Rachid Santaki réhabilite la dictée dans des quartiers populaires

#CeuxQuiFont , Rachid Santaki réhabilite la dictée dans des quartiers populaires

Ancien cancre devenu auteur de polars, il organise régulièrement des dictées géantes dans des quartiers populaires à travers la France.

Il donne rendez-vous sur la grande place devant la mairie de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Sa ville, celle de ses polars. A la terrasse du Khédive, il est sans cesse apostrophé, alpagué : « Tu le sors quand, ton prochain ‘ » Rachid Santaki, grand timide de 42 ans, tout de noir vêtu, est un peu la vedette locale dans cette banlieue populaire.

Il en connaît les recoins les plus sombres, pour les avoir décrits dans ses romans noirs où les histoires finissent toujours mal. Mais il a gardé pour sa banlieue un regard plein d’empathie, et c’est donc ici que cette figure du « 9.3 » a voulu organiser sa plus grande « Dictée des cités ». Le 30 mai 2015, quelque mille personnes s’y lançaient un défi à coups de stylo.

L’idée de ces drôles de dictées lui est venue après un message d’Abdellah Boudour, responsable de l’association Force des mixités à Argenteuil (Val-d’Oise), au printemps 2013. Ce dernier avait vu sur Facebook une photo de Rachid en train de lire à haute voix un texte lors de La Grande Dictée de Clichy-sous-Bois, initiative annuelle du maire, Claude Dilain.

Tous deux discutent alors de leur banlieue, des énergies qu’ils y voient, des clichés véhiculés et qui leur collent à la peau, et décident de lancer une dictée géante et itinérante dans les quartiers populaires. Pour faire une action sans passer par le hip-hop ou la boxe. « C’était au moment où tout le monde parlait de participation des habitants. Nous, on voulait se réapproprier l’espace public en faisant se rencontrer les gens autour de la littérature française. » Sur la dalle d’Argenteuil, quelque deux cents personnes sont venues par le bouche-à-oreille.

© Bruno Amsellem / Divergence

« L’impression d’apporter quelque chose à la société »

Promouvoir cet exercice roi de l’école française n’était pourtant pas évident pour celui qui dit avoir « redoublé quarante-huit fois ». Quand Rachid Santaki parle de lui, il avoue pudiquement avoir vécu une enfance et une adolescence « compliquées ». Né d’un père chauffeur de calèche à Marrakech et d’une mère caissière venue de Béthune, élevé avec son frère aîné par la grand-mère, il arrive en France à Saint-Ouen à cinq ans. A dix, il est placé en famille d’accueil par la Ddass. Avec un père violent et un couple en perpétuelle bagarre, la famille part en vrille.

« J’ai été ballotté entre mes parents et les collèges dont j’étais renvoyé. Mon rêve était de devenir dessinateur, j’ai été orienté en techno », dit-il dans un sourire. A 18 ans, nouveau choc : il perd son frère aîné, emporté par une pneumonie. Durant dix ans, il va se mettre « entre parenthèses », passant d’un petit boulot à un autre, avant de se stabiliser comme manutentionnaire.

Parallèlement, il devient animateur sportif dans un club de boxe thaï au Franc-Moisin. « C’est mon premier engagement. Depuis la mort de mon frère, je vivais au jour le jour. Là, je me suis réveillé en ayant l’impression d’être utile, d’apporter quelque chose à la société », raconte le quadragénaire à la barbe rase grisonnante.

« Pas de perdants, que des gagnants »

Le déclic de l’écriture est venu plus tard, avec le lancement du magazine de cultures urbaines 5 Styles pour les magasins FNAC. « Tout en bossant comme chauffeur, j’étais devenu patron de presse ! Moi qui n’avais pas eu le bac, j’écrivais des histoires de mecs qui me ressemblaient. C’est là que tout se noue : j’ai décidé d’écrire avec les mots des cités pour ceux qui les vivaient. » Après trois polars à succès Flic ou caillera, Des chiffres et des litres, Les anges s’habillent en caillera , il est devenu l’écrivain du 9.3, dont les affiches sauvages envahissent toutes les palissades de ce côté-là du périphérique.

© Bruno Amsellem / Divergence

Il faut le voir superviser ses dictées, l’entendre lire lentement à voix haute, répéter les mots difficiles, appuyer sur les « virgules » et les « retours à la ligne », détendre l’atmosphère comme un maître de cérémonie. « Ici, il n’y a pas de perdants, il n’y a que des gagnants », lance-t-il toujours en guise de mode d’emploi. « C’est un symbole de l’école et, pour beaucoup, de l’échec scolaire. Nous, on valorise tout le monde parce que, dans la vie, on peut faire des fautes et là, c’est pareil. Mais on en fait quelque chose d’accessible et d’amusant », explique Santaki.

« Décomplexer les gamins »

Ses dictées plus de cinquante organisées en trois ans, des quartiers nord de Marseille à Vaulx-en-Velin (Rhône) en passant par une multitude de banlieues parisiennes connaissent partout le même succès. Sur les places mobilisées pour l’occasion, il y a les habitués, les fans de Santaki qui ont lu tous ses romans, les scolaires emmenés par leur prof après une visite de l’écrivain en classe, des ados, des pères et mères de famille ravis de se pencher à nouveau sur quelques lignes de Victor Hugo ou de Saint-Exupéry.

« Rachid a un vrai public qui le suit. Et un talent incroyable pour être à l’écoute des ados », assure son compère Abdellah Boudour. « Il a su faire de la dictée un truc populaire. Avec sa gouaille, il a une façon de décomplexer les gamins en leur disant qu’ils ont de la valeur. C’est précieux », souligne Didier Paillard, le maire de Saint-Denis.

Philippe Girard, enseignant à Saint-Lô (Manche) et habitué des compétitions d’orthographe, est lui aussi totalement conquis par le bonhomme comme par ses actions : « Grâce à lui, on a une image positive des banlieues, alors qu’en province, on n’en a que des clichés violents. Il montre que, dans ces territoires comme partout, la langue française est un bien commun. » Lui esquive par une pirouette : « Le ministère de la jeunesse et des sports m’a recruté pour une mission durant l’Euro de foot en organisant des dictées dans les quartiers. On a pu faire gagner deux cent quarante places pour les matchs. Pas mal le passage de la littérature au stade, non ‘ »

La troisième édition du Monde Festival se tient à Paris du 16 au 19 septembre 2016 sur le thème « Agir ». Retrouvez le programme du Monde Festival et envoyez-nous vos idées de portraits et d’initiatives à agir@lemonde.fr.

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